Logique et biais de confirmation

Logique et biais de confirmation

Commençons par un petit test :

Voici 4 cartes : 3 ; D ; 7 ; F

Les cartes ont toujours une lettre sur une face, et un chiffre sur l’autre face.

On vous demande de vérifier l’affirmation “Quand on retourne un D, on trouve un 3”, en retournant au maximum deux cartes. Lesquelles allez-vous retourner ?

Vous avez envie de retourner le D et le 3, pas vrai ? Aller, dites-le.

Explorons les différents scénarios possibles :

– Vous retournez le D et vous trouvez un 7 -> L’affirmation est réfutée, et le jeu peut prendre fin dès maintenant. Et oui, si on sait que l’affirmation est fausse, pourquoi continuer ?

– Vous retournez le D et vous trouvez un 3 -> L’affirmation est vraie jusqu’à preuve du contraire.

– Vous retournez le 3 et vous trouvez un D -> L’affirmation est vraie jusqu’à preuve du contraire.

– Vous retournez le 3 et vous trouvez un F -> L’affirmation est vraie jusqu’à preuve du contraire. Ben oui, rien ne dit qu’il ne peut pas y avoir de 3 derrière autre chose qu’un D !

Retourner le D est une bonne piste, puisque la découverte d’un autre chiffre que le 3 peut prouver que l’affirmation est fausse. En revanche, retourner le 3 ne vous donne aucune information.

De même, retourner le F ne donne aucune information. C’est le D qu’on veut tester.

Reste le 7 :

– Si on retourne le 7 et qu’on trouve un F, l’affirmation reste vraie jusqu’à preuve du contraire.

– Mais si on retourne le 7 et qu’on trouve un D, alors cela prouve qu’il n’y a pas forcément un 3 derrière un D. L’affirmation est réfutée.

Finalement, les deux cartes à retourner sont D et 7, car ce sont les cartes qui permettent de réfuter l’affirmation. Notre réflexe a été de vouloir confirmer l’information, sauf qu’une fois qu’on a vérifié qu’il y avait un 3 derrière le D, et un D derrière le 3, la phrase peut toujours être fausse si un D se cache derrière le 7.

Ce petit exercice tout bête illustre le mécanisme du biais de confirmation. C’est un biais cognitif qui consiste à vouloir d’abord chercher des informations qui confirment nos idées, plutôt que des informations qui pourraient contredire ces idées. C’est aussi se rappeler en priorité tous nos souvenirs et connaissances qui vont dans le sens de notre hypothèse, quand bien même on aurait également en tête de quoi invalider l’hypothèse. Ce biais est à l’œuvre au quotidien, dès qu’on vérifie une information, dès qu’on exprime un stéréotype, dès qu’on est face à une information qui contredit ce qu’on pense savoir… Nous ne pouvons pas lutter contre ce biais. Au mieux, on peut se forcer à chercher des sources contradictoires. Cela nécessite de se poser la question : “Quelle information, quel fait, pourrait me faire changer d’avis ?”, et de chercher cette information ou ce fait.

C’est extrêmement simple à mettre en place et à animer, puisqu’il suffit de découper 4 morceaux de carton et d’inscrire les symboles recto-verso. Outre le défi logique, il faut en profiter pour discuter du biais de confirmation, de la manière dont il s’exprime, de la façon dont il est amplifié par les algorithmes des réseaux sociaux et des moteurs de recherche, etc.

Continuer à jouer

Une fois le défi accompli (ou pas) et la discussion avancée, il peut être intéressant de se tester à nouveau ! Ce jeu peut être décliné dans une infinité de variantes, dont voici notre petite sélection :

– Sur une face des cartes se trouvent des tailles (“grand” ou “petit”) et sur l’autre face se trouvent des genres (“homme” ou “femme”). Présentez 4 symboles différents (“homme”, “petit”, “femme”, “grand”), et demandez de vérifier si “les hommes sont grands”.

– Sur une face des cartes se trouve la météo (“il pleut” ou “il fait beau”) et sur l’autre face se trouve l’état du sol (“sol mouillé” ou “sol sec”). Présentez 4 symboles différents (“il pleut”, “sol sec”, “il fait beau”, “sol mouillé”), et demandez de vérifier si “quand il pleut, le sol est mouillé”.

– Sur une face des cartes se trouvent des catégories d’âge (“majeur” ou “mineur”) et sur l’autre face se trouvent des types de boissons (“alcool” ou “sans alcool”). Présentez 4 symboles différents (“majeur”, “sans alcool”, “mineur”, “alcool”), et demandez de vérifier si “l’interdiction de boire de l’alcool pour les mineurs est bien respectée”.

Ces symboles et situations, contrairement à celles du premier exercice, font appel à des situations de la vie réelle. On peut mobiliser ses connaissances pour y répondre : “Oui, en moyenne les hommes sont plus grands que les femmes”, “Oui, quand il pleut le sol est mouillé, ça se voit”, “Des mineurs qui boivent de l’alcool, j’en connais !”. Sauf qu’ici, c’est un jeu de logique, il faut faire l’effort de penser abstraitement, et surtout de contrer son biais de confirmation.

Quelques détails sur la logique

Pour les animateur·ices et les participant·es qui veulent aller plus loin, voici quelques informations sur les erreurs logiques souvent induites par ce jeu.

Commençons par traduire les affirmations dans un langage plus élémentaire (il existe des langues de la logique utilisant exclusivement des symboles, mais ici nous emploierons des mots) : “Derrière un D, on trouve un 3” devient “D implique 3”. Ici, comme on cherche des informations sur les D et les 3, pas besoin de préciser quoi que ce soit en dehors du D et du 3. Pour désigner n’importe quel autre chiffre que 3, on dira “non-3”. De même, pour désigner n’importe quelle autre lettre que D, on dira “non-D”. Donc on considère uniquement 4 éléments : “D”, “non-D”, “3” et “non-3”.

Admettons que “D implique 3” soit vrai.

La première erreur consiste à affirmer que “3 implique D” est vrai. Cela peut être le cas, mais c’est impossible logiquement de l’affirmer juste à partir de “D implique 3”. De même, si le fait que l’eau mouille le sol est vrai, impossible d’affirmer que si on voit un sol mouillé, alors c’est qu’il a forcément plu. C’est ce qu’on appelle l’affirmation du conséquent : on affirme que si le conséquent (“3” ; “Le sol est mouillé”) est réalisé, alors l’antécédent l’a été aussi (“D” ; “Il pleut”). Autrement dit, “D implique 3” n’implique pas que “3 implique D”, et “Quand il pleut, le sol est mouillé” n’implique pas que “Si le sol est mouillé, alors il a plu”.

La deuxième erreur consiste à affirmer que “non-D implique non-3” est vrai. Encore une fois, cela peut être le cas, mais rien ici ne permet de l’affirmer logiquement. C’est comme dire “Je sais que s’il pleut le sol est mouillé. Alors s’il ne pleut pas, le sol est sec”. C’est le déni des antécédents : on oublie tous les antécédents potentiels qui pourraient avoir mouillé le sol (un tuyau d’arrosage, un seau d’eau renversé…), ou derrière lesquels le 3 pourrait se cacher (F, X, T, ou tout autre “non-D”). Autrement dit, “D implique 3” n’implique pas que “non-D implique non-3”, et “Quand il pleut, le sol est mouillé” n’implique pas que “s’il ne pleut pas, alors le sol est sec”.

“D implique 3” implique uniquement que “non-3 implique non-D”.

Un dernier pour la route : “Il n’y a pas de fumée sans feu” est une affirmation du conséquent. Le feu produit de la fumée, mais la fumée seule ne prouve pas qu’il y a du feu !

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