La débaston – Comment auto-gérer un débat

La débaston – Comment auto-gérer un débat

Cet atelier peut aussi s’appeler, de manière plus sobre et plus compréhensible : « Mieux débattre ».
Si l’objectif transparaît immédiatement, il n’est en revanche pas du tout aisé à atteindre !

Nous sommes partis du constat que beaucoup de débats au quotidien, qu’ils portent sur des questions anodines ou sur des enjeux de société, échappaient à notre contrôle et dérapaient complètement vers une baston verbale. Or, « débattre » veut dire « ne pas se battre ».

Débattre n’est pas qu’une question de fond : formuler des arguments, avoir raison, être cohérent, ressortir des connaissances… tout ça est très bien MAIS ne sert à rien si personne ne s’écoute, si la parole est jugée, si les arguments n’ont pas l’occasion d’être développés, si une seule personne s’accapare la parole, ou si on tourne en rond parce qu’on parle de choses différentes sans le savoir.

Les habiletés qui permettent de faire avancer un débat ne sont pas du tout naturelles. Elles s’apprennent, et bien souvent de façon implicite.
Cet atelier propose de formaliser les problèmes qui peuvent advenir lors d’un débat, et de collectivement chercher des solutions, puis de les mettre en place pour tester leur effet.
Il est à notre avis tout aussi utile pour des adolescent·es que pour des adultes.

Ici nous vous exposons un déroulé testé à plusieurs reprises avec des élèves de troisième. Avertissement : c’est un atelier assez déroutant à la fois pour les élèves et pour les animateurices !

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Phase 1 : Le débat mouvant

Nous commençons par un exercice qui fait très souvent mouche dans des groupes d’élèves qui se connaissent : un débat mouvant (Allez voir de quoi il s’agit pour comprendre la suite).
La phrase clivante qui correspond bien à cet atelier, et que nous avons utilisée, est « Nous sommes tous égaux ».
Nous faisons durer le débat environ 15 minutes, en veillant à faire respecter les règles et en incitant les élèves à changer de camp.

Phase 2 : Premiers questionnements

Une fois que nous avons mis fin au débat, on lance un questionnement aux élèves : Qu’avez-vous pensé de ce débat ? Parmi les avis exprimés, certains vous ont-ils parus pertinents ? Tout le monde a-t-il pu prendre la parole ? Y a-t-il eu des temps forts ? Y a-t-il eu des moments très satisfaisants ? Des tensions ? Des frustrations ?

Nous marquons quelques réponses des élèves au tableau sous forme de mots-clefs. Généralement, à ce stade, il est possible de faire remarquer aux élèves quelques constats :

  • L’argumentation commençait à tourner en rond vers la fin du débat
  • Changer de camp était une démarche difficile
  • La prise de parole était très inégalitaire, et les coupures de parole fréquentes
  • Il y a eu des énervements

Phase 3 : Le débat auto-géré

Ainsi, nous proposons aux élèves de chercher des solutions pour « mieux débattre ».
C’est là que commence la partie difficile pour les animateurices : les élèves sont toustes debout dans la salle (ou ont trouvé une chaise dans un coin), face à l’animateurice, lèvent la main pour proposer des choses, et surtout dans l’attente que l’animateurice donne de nouvelles consignes.
Tout l’enjeu est de rebondir sur leurs réponses pour leur faire comprendre qu’à présent, iels ont toute latitude pour appliquer leurs idées.

Le but n’est surtout pas de donner des outils clefs-en-main et d’organiser un nouveau débat, mais de faire émerger des propositions d’outils par les élèves et de les tester sur place.
Pour cela on peut s’appuyer sur les remarques précédemment marquées au tableau : « Comment est-ce qu’on pourrait faire pour mieux répartir la parole ? »
Dès qu’un élève a une idée, on lui propose de la mettre en pratique avec le groupe.
Par exemple, l’idée va vite émerger de donner un bâton de parole aux personnes qui lèvent la main. Dans l’idéal, l’animateurice ne fait rien et laisse les élèves prendre les initiatives. Toutefois, certain·es peuvent se retrouver très démuni·es et il faut leur apporter notre aide pour avancer.

Au fil de la discussion, de nouveaux problèmes vont se poser sans cesse, et le rôle principal de l’animateurice va être de les faire remarquer aux élèves, pour les inciter à trouver de nouvelles solutions.
Par exemple, l’élève qui va proposer le bâton de parole au groupe peut se retrouver confronté au refus de certain·es élèves, qui n’aiment pas ce dispositif. Que faire ? L’imposer ? Proposer d’essayer au moins quelques minutes ? Leur demander une contre-proposition ?
Au moins au début de la séance, nous préférons prendre la main dans ces moments-là, relever le nouveau problème, le marquer au tableau, et proposer qu’on en discute en groupe.

Au fil de la séance, si tout se passe bien, on peut faire remarquer que ce rôle d’animateurice unique est potentiellement un problème à cause du pouvoir dont il dispose. Nous en faisons un nouveau problème à régler. Lors d’un des ateliers, le groupe a très bien réagit, et a demandé aux adultes de respecter les mêmes règles de prise de parole que les élèves. Un autre groupe a fait tourner un rôle de « distributeurice de parole » parmi des élèves volontaires, en laissant aux adultes le privilège de parler quand iels voulaient. Nous souhaitons laisser les élèves développer leurs propres solutions (tant que l’atelier ne vire pas à la bagarre).

Évidemment, les élèves n’auront pas toujours des idées pour régler des problèmes, ou alors se sentiront désarmé·es si plusieurs idées successivement proposées échouent.
Ainsi nous avons établi une réserve d’outils, sur lesquels orienter les élèves dans l’idéal, ou à proposer directement si la situation le demande (à vous d’en juger!) :

  • Se placer en cercle pour mieux se voir et s’écouter
  • Établir un plan de discussion, pour être sûr·e de traiter tous les points
  • Établir une méthode pour prendre des décisions : on vote ? On impose de tester une idée pendant 10 minutes, puis on vote pour la valider ? (Ce seul point peut être l’objet d’un atelier entier, attention à ne pas rester bloqué dessus!)
  • Faire circuler un bâton de parole
  • Définir des limites de temps de parole
  • Avoir un nombre limité de ticket de parole par personne
  • Rendre obligatoire le fait d’accompagner l’expression d’une idée par un exemple
  • Rendre obligatoire le fait de reformuler l’idée à laquelle on répond avant d’y répondre
  • Mettre en place des codes gestuels pour signaler silencieusement l’approbation, le désaccord, le besoin de reformulation, le besoin de faire une pause…

Nous avons aussi établi des rôles à proposer au élèves, car c’est un type d’outil particulier auxquels iels ne pensent pas souvent. Comme l’enjeu est de leur donner le pouvoir, il faut leur en donner les moyens, et ne pas rester dans une posture d’animateurice classique. Voici des exemples, modulables et déclinables :

  • Distributeurice de parole
  • Animateurice : Veille à la pertinence des prises de parole. Est-ce que les participant·es suivent bien le plan établi ? Est-ce que l’idée exprimée est bien dans le sujet ? Est-elle bien formulée ?
    Il est possible de donner à la personne qui tient ce rôle une fiche d’aide contenant des questions pour relancer le débat.
  • Gardien·ne du temps : Gère les différents timing que le groupe s’est donnés. Par exemple, iel veille à la longueur des prises de parole individuelles et fait des signes pour inciter à la personne à s’arrêter, ou fait remarquer qu’après 15 minutes passées sur un point du plan de discussion, il serait bon de conclure et de passer à la suite.
  • Arbitre : Veille au respect des règles mises en place, pour éviter les coupures de parole, les jugements explicites…
  • Scribe : Prend des notes, sur une feuille ou au tableau. Ce rôle gagne à être partagé, et à communiquer avec le groupe.

Nous incitons aussi les élèves à considérer ces rôles comme temporaires et révocables, pour montrer que le pouvoir peut très bien se déléguer, se diluer et tourner régulièrement.
Dans l’idéal, l’animateurice adulte finit par n’avoir plus aucun pouvoir !

Mise en garde sur un imprévu prévisible

Nous avons remarqué deux scenarii types pour l’évolution de la séance :

1 – La situation « idéale », celle où la majorité des élèves se prend au jeu, et trouve beaucoup d’intérêt à se questionner sur les moindres détails du plan, ajoute un nombre virtuellement infini de points au plan, retire tout pouvoir aux animateurices adultes…
Un groupe nous a fait ce coup-là, et nous les avons observer débattre pendant 20 minutes sur la façon de prendre des notes, de qui devait prendre des notes, sur les modalités de ce rôle…

Si le groupe prend à cœur la question « Comme mieux mieux débattre ? », l’atelier fonctionne tout seul.

2 – La situation plus courante, et beaucoup plus éprouvante pour l’animateurice : les élèves peinent à comprendre le sujet du débat, et attendent vainement que l’animateurice lance un nouveau débat mouvant.
Là, il faut constamment rappeler que le sujet est bien « Comment mieux débattre ? », que c’est un réel sujet et pas une blague. Si les élèves sont perdu·es, il ne faut pas hésiter à formaliser jusqu’à ce qu’iels s’en empare, par exemple en marquant un plan de discussion au tableau.

Plusieurs groupes ont insisté pour débattre sur d’autres sujets. Voici quelques-unes de nos réactions :

  • Nous rappelons que s’iels veulent débattre d’autre chose, iels en sont libres puisque nous leur avons donné le pouvoir. Ainsi iels se retrouvent forcé·es de trouver comment décider collectivement d’un nouveau sujet de débat, et nous pouvons relancer un questionnement sur « comment prendre une décision collective ? »
  • Nous rappelons que quelque soit le sujet de débat choisi, il faudra respecter les règles et rôles établies jusqu’ici. Souvent, les élèves choisissent des sujets impliquant beaucoup d’affects, et les règles explosent complètement. C’est l’occasion de faire remarquer l’utilité de réfléchir à la question « comment mieux débattre ? » : les élèves en voient maintenant la nécessité.

Sachant que l’objectif de cet atelier est de rendre autonomes des groupes dans la création d’espaces de débats sain et pertinents, il faut absolument éviter de redevenir autoritaire si les élèves expriment l’envie de débattre d’un autre sujet. Il faut improviser pour leur en laisser la possibilité, mais en profiter pour réintroduire la nécessité de la réflexion sur « Comment mieux débattre ? ».

Phase 4 : Météo et évaluation

Vient le moment de conclure l’atelier, et nous veillons à prendre 15-20 minutes pour le faire proprement.
Ce moment arrive nécessairement au milieu de nulle part, puisque la question « comment mieux débattre ? » ne connaît pas de fin. L’animateurice reprend donc la main un peu brusquement.

La météo consiste en des questions pour faire sortir ce qui a plu et ce qui a été désagréable. C’est important qu’un débat soit un moment agréable pour soi et les autres, pour qu’on cherche à en créer !

On peut demander par exemple :

  • Quelqu’un s’est-il senti ignoré·e ? Attaqué·e ? Ennuyé·e ?
  • Avez-vous ressenti des émotions négatives ? Positives ?
  • Avez-vous pris du plaisir à l’exercice ?

L’évaluation se fait également par des questions, plus analytiques et qui mériteraient sûrement un travail sur table beaucoup plus cadré, mais à ce stade et dans le contexte d’une intervention, en demander davantage aux élèves semble trop ambitieux.

  • Les outils mis en place vous ont-ils semblé pertinents ? Pourquoi ?
  • Des outils ont-ils échoué ? Pourquoi ?
  • Quels outils vous semblent faciles à appliquer dans des contextes plus courants ?
  • Les rôles mis en place ont-ils été respectés ?
  • Les rôles étaient-ils bien définis ?
  • Comment faire en sorte que les moments vécus positivement se reproduisent lors d’autres débats ?
  • Comment éviter les moments négatifs dans d’autres débats ?

Cette évaluation permet de rappeler le lien de l’exercice avec le réel, ce qui peut être facilement oublié par les élèves dans le feu de l’action (et par tout·te participant·e lors de n’importe quel atelier).

Bon courage

Si vous souhaitez vous saisir de ce déroulé, vos retours nous intéressent beaucoup !
Gardez en tête que ce déroulé a été NOTRE façon globale d’animer, et que tout ajustement circonstancié sera certainement le bienvenu !

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