Les systèmes de vote – Réflexions et expérimentations démocratiques

Les systèmes de vote – Réflexions et expérimentations démocratiques

Cet atelier a pour but de questionner nos pratiques usuelles de vote, plus largement les manières dont on prend des décisions collectives, et encore plus largement la notion de démocratie.
Joli programme ! Mais rassurez-vous, cela reste un atelier participatif orienté sur le vote, pas un débat de philosophie politique (quoique ce débat peut advenir dans un deuxième temps).

Cet atelier a été en très grande partie inspiré par Tzitzimitl et sa vidéo sur les systèmes de vote. Nous vous conseillons grandement de regarder cette vidéo et d’expérimenter avec le tableau de calculs qui l’accompagne. Merci à lui !

Mise en situation

Commençons par une petite expérience :

Les participant·es disposent de 3 minutes pour décider d’un·e représentant·e dans le groupe. Son rôle est complètement fictif mais si des personnes demandent, j’invente une responsabilité qui est censée prendre toute son importance à la fin de l’atelier, ce qui motive les participant·es à se prendre au jeu sérieusement.

Une fois la/le représentant·e décidée, on passe à une deuxième expérience :

Cette fois les participant·es doivent décider de ce qu’iels mangeraient ce soir si on devait organiser un repas commun. Iels ont le champ libre pour imaginer ce qu’iels veulent, mais après quelques minutes une décision doit être rendue.

Une fois les deux décisions prises, on peut revenir en arrière pour analyser la manière dont le groupe s’y est pris pour trancher.
Tout d’abord on peut se contenter de décrire : « Deux personnes se sont proposées comme candidates » ; « On a écrit des listes de repas possibles » ; « On a fait un vote » ; « Une personne n’a jamais parlé » ; etc.

Généralement et de manière plus ou moins nette, la situation de décision du repas a davantage tendance à ressembler à une recherche de consensus, et celle de la décision d’un·e représentant·e à un vote majoritaire.

Voici des exemples d’actions des participant·es pour décider…

…du repas. …d’un·e représentant·e.
  • Tour de parole pour que chacun·e émette une proposition
  • Expression de contraintes : « Je suis végan » ; « Je mange halal »
  • Recherche de compromis par le groupe : « Dans tel restaurant, il y a des options végans et halal »
  • Le groupe s’assure que tout le monde trouvera son compte dans la décision finale en questionnant chacun·e
  • Quelques personnes annoncent au groupe qu’elles veulent bien être représentant·e
  • Tout le monde ne s’exprime pas
  • Vote à main levé sans prise en compte des avis opposés ou non exprimés
  • Appui d’une « candidature » avec un argument invalide quelconque (personne la plus âgée, la plus haut placée hiérarchiquement, qui sait le mieux manier la parole…)

Même si les différentes entre les deux manières de prendre une décision ne sont pas aussi marquées, il est intéressant d’en discuter et de les prendre comme base pour se questionner.
Pourquoi a-t-on changé notre manière de décider en groupe, alors que seul l’objet de la décision a été modifié ?
Serait-ce l’enjeu de la décision ? Ici, cela semble difficile de savoir.
D’ailleurs, a-t-on cherché à connaître l’enjeu de cette élection d’un·e représentant·e ?

Là où nous voulons en venir, c’est que nous avons acquis, à travers notre éducation, des réflexes de prises de décisions en collectif. Selon les situations, nous privilégions certains modes de prise de décision à d’autres, souvent sans y réfléchir davantage.
Est-ce un problème ? Si l’on prétend penser et agir avec de l’esprit critique, le fait d’appliquer une recette sans réfléchir est un problème.

Les élections présidentielles françaises

Sans nous lancer dans des analyses sociologiques (que nous ne serions de toute façon pas légitimes à réaliser), il nous semble raisonnable d’avancer qu’un des facteurs qui détermine nos réflexes en matière de décision collective, ce sont les grandes élections nationales. En particulier, les élections présidentielles et leur déclinaison pour mineurs : les élections des délégué·es de classe. Le principe de la décision d’un·e représentant·e est appris à l’école via ces exemples, que l’on ne questionne que rarement tant ils sont ancrés.

Ce modèle de prise de décision n’est pas neutre : il nous fait envisager la démocratie d’une certaine manière. Pour comprendre comment, nous proposons de décrypter un résultat électoral, celui d’Emmanuel Macron lors des élections présidentielles de 2017.

Le 23 avril 2017, Emmanuel Macron gagne la présidentielle avec un score de 66%.

Mais qu’est-ce que ce score veut dire ?
Pour l’analyser, il faut reposer des bases :

Qui vote en France ?
En France, pour voter il faut être de nationalité française, être majeur et être inscrit sur les listes électorales.

Quelles voix sont comptées ?
Le score final ne prend en compte que les bulletins dits “valides”. Les bulletins blancs (une enveloppe vide ou avec un bulletin littéralement blanc) et nuls (bulletins avec des signes distinctifs, ou avec n’importe quoi d’autre écrit que le nom des candidats en lice au moment du scrutin) ne sont pas comptés. L’abstention non plus n’apparaît pas dans le score final.
Le score de 66% ne représente donc pas 66% de la population ayant le droit de vote, mais 66% des votes valides.

Comment détermine-t-on le vainqueur ?
Le nom de ce système de vote est “scrutin uninominal à majorité absolue à deux tours”. Cela signifie qu’on ne peut voter que pour un·e seul·e candidat·e, et que cellui-ci doit obtenir au moins la moitié des voix +1 pour gagner. Si à l’issue du premier tour personne n’obtient un tel score, tous les candidats sont éliminés sauf les deux ayant obtenu les meilleurs scores, et un deuxième tour est organisé lors duquel on ne peut voter que pour ces deux candidats. L’issue de ce vote est nécessairement une majorité absolue.

Une fois ces informations rappelées, les participant·es doivent trouver un score plus “réaliste” pour Emmanuel Macron en 2017. Nous avons collecté plusieurs chiffres intéressants, que nous fournissons aux participant·es quand iels nous les demandent, et iels doivent les utiliser pour faire des calculs simples de pourcentage.

Population en France : 64,6 millions en 2017 (70,4 millions en 2022)
Nombre de français : 60 millions en 2017 (4,7 millions d’étrangers en 2018)
Nombre d’inscrits sur les listes électorales : 47,5 millions en 2017

 

  1er tour 2nd tour
Abstention 10,5 millions 12 millions
Votants 37 millions 35,4 millions
Blancs 659 000 3 millions
Nuls 285 000 1 million
Exprimés (votants – [blancs + nuls]) 36 millions 31,4 millions
Score d’Emmanuel Macron 8,6 millions 20,7 millions

 

On peut déjà se demander pourquoi le droit de vote est réservé à une partie de la population. Quel critère est pertinent pour accorder le droit de vote ?
Ainsi en 2017, 47,5 millions de personnes sur les 64,6 millions présentes sur le territoire (et donc soumises à ses lois) avaient le droit de participer à ce scrutin.

Sur ces 47,5 millions, 31,4 millions ont exprimé un vote valide au deuxième tour. On peut alors se demander pourquoi l’abstention, le vote blanc et le vote nul ne sont pas comptés.
Admettons que seules les personnes ayant le droit de vote apparaissent dans le score final (47,5 millions), mais qu’on y inclue également l’abstention et les votes blanc et nul : Emmanuel Macron ayant recueilli 20,7 millions de voix, son score aurait été de (20,7 / 47,5)*100 = 51,1%

Ce n’est pas tout ! Au deuxième tour des élections présidentielles, peut-on raisonnablement penser que les votes exprimés reflètent bien les convictions des votant·es ? Le deuxième tour ne présente plus que deux candidats, et la pression sociale à voter pour un des deux est souvent forte.
Analyser les score du premier tour nous rapprocherait sûrement un peu plus des convictions des votant·es, même si c’est encore TRÈS LOIN de les capter réellement : dès le premier tour, il y a un enjeu de vote utile, sachant qu’on ne peut voter que pour un·e seul·e candidat·e et que certains partent avec des avantages objectifs considérables.
Faisons tout de même le même calcul que précédemment : Emmanuel Macron a recueilli 8,6 millions de voix au premier tour, toujours avec 47,5 millions de personnes ayant le droit de vote. (8,6 / 47,5)*100 = 18,1%

Pour s’amuser on peut même aller plus loin et refaire le calcul avec des hypothèses supplémentaires : en plus de comptabiliser l’abstention, les votes blanc et nul, vous pouvez inclure les personnes n’ayant pas la nationalité française, les jeunes entre 16 et 18 ans (voire plus jeunes), et toutes les personnes qui pourraient déjà voter actuellement mais qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales.
Là, je n’ai pas pris le temps de collecter les chiffres, il va falloir faire vos propres recherches 😉

Quelle vision de la démocratie ce système véhicule-t-il ?

Ce dont on se rend compte avec ce petit exercice, au-delà du fait que les scores électoraux ne reflètent pas réellement ce qu’on pourrait appeler “l’opinion publique”, c’est que le système de vote, quel qu’il soit, influence dans une plus ou moins grande mesure ce score final et ce, sans même avoir besoin de parler de manipulation par les sondages, la propagande ou par la rhétorique.

Concernant le scrutin uninominal à majorité absolue à deux tours actuellement en cours, celui-ci véhicule l’idée qu’on peut ignorer l’avis d’une grande partie de la population concernée par la décision à prendre, que l’objectif de la prise de décision est de contenter un maximum de personnes et qu’il faut contenter ces personnes le plus possible.
Premier problème : même en admettant cet objectif de maximiser le nombre personnes contentées et de maximiser leur contentement, le scrutin à majorité absolue à deux tours n’est pas optimal.
Deuxième problème, plus important : cette vision de la démocratie nous semble aller de soi, mais elle est totalement arbitraire. En soi, ce n’est pas un problème puisqu’un objectif politique relève nécessairement de l’arbitraire. Là où ça devient gênant, c’est quand cet objectif rentre dans les habitudes à tel point qu’il n’est plus questionné ni explicité. Or il n’a rien de logique ou de naturel, d’autres objectifs concurrents existent, il est donc possible de le questionner.

Qu’est-ce qui se passerait si on prenait une définition subtilement (mais radicalement) différente de la démocratie ?
Posons l’objectif de minimiser le nombre de personnes mécontentes et de minimiser leur mécontentement : le système de prise décision idéal serait la recherche de consensus. Cependant il est des situations où voter demeure plus pratique ou plus rapide.
Quel système de vote adopter alors ?

La dernière partie de cet atelier souhaite faire expérimenter d’autres manières de voter afin que chaque personne prenne conscience de la pluralité de ces outils, se les approprie dans le cadre de décisions collectives, voire milite pour leur mise en place dans des institutions si elle les juge pertinents.

Expérimentations réalistes

Il existe d’autres systèmes de vote qui calculent les scores différemment et cherchent donc plus ou moins à minimiser les mécontents (ou à maximiser les contents).
La vidéo de Tzitzimitl citée plus haut détaille bien plusieurs de ces systèmes et leurs conséquences politiques, ici nous n’en exposerons que deux : ceux qui cherchent à minimiser le nombre de mécontents et à minimiser leur mécontentement. Pour bien vous rendre compte de la différence de score final entre plusieurs systèmes, téléchargez ce petit tableau concocté par Tzitzimitl, qui calcule le classement de plusieurs options selon des bulletins de vote fictifs et plusieurs systèmes de vote. On constate qu’à partir des mêmes bulletins (adaptés selon les systèmes de vote), l’option gagnante n’est pas la même quand on passe d’un système à un autre. (Note : On parle ici d’option et plus de candidat, car ces systèmes de vote fonctionnent aussi bien pour élire des gens que pour prendre des décisions.)
Une apparente évidence en particulier est bouleversée : une option peut obtenir la majorité absolue (6 voix sur 10 dans l’exemple du tableau) et pourtant ne pas gagner.

Nous proposons de tester concrètement le vote par approbation et la méthode de Borda.

Vote par approbation
Rien de plus simple à mettre en place et à comprendre. Chaque votant·e dispose d’un bulletin, et peut inscrire autant d’options qu’iel veut dessus. Chaque option inscrite est “approuvée” : le votant·e pourrait accepter que cette option gagne. Chaque option non inscrite est “rejetée” : le votant·e n’en veut pas.
L’option la plus approuvée gagne, tout simplement.
En fait, c’est plutôt l’option la moins rejetée qui l’emporte. Concrètement, c’est la même chose, mais formulé ainsi on comprend mieux comment ce système minimise le mécontentement.

Méthode de Borda
Un peu plus compliquée, mais qui permet de nuancer ses approbations.
Chaque votant·e dispose d’un bulletin sur lequel il est possible de classer toutes les options concurrentes. On peut classer autant d’options qu’on veut, classer certaines options ex-æquo, ou ne pas inscrire des options (ce qui équivaut à les rejeter).
Plus une option est haute dans le classement d’un bulletin, plus on lui attribue de points. Elle peut recevoir au maximum le nombre de points correspondant au nombre de d’options classées. Par exemple, si il y a 5 options à classer et que toutes sont classées, l’option classée première obtient 5 points, celle classée deuxième obtient 4 points, et ainsi de suite jusqu’à 1 point.
Les options ex-æquo reçoivent le nombre de points normalement associés à leur rang. Les options non classées ne reçoivent pas de points.
Petite subtilité : si il y a 5 options à classer, mais que seules 3 sont effectivement classées, celle classée le plus haut reçoit 3 points. Ainsi, pour donner le maximum de points à l’option qu’on préfère, on est obligé de classer toutes les options. Cela évite de n’inscrire qu’un seul nom en première position et de transformer le vote Borda en un vote à majorité absolue (ou d’inscrire plusieurs noms ex-æquo en première position et de transformer le vote Borda en vote par approbation).
Les points de chaque bulletin sont additionnés et l’option obtenant le plus de points gagne.

Voici des explications schématiques de ces deux systèmes

Ces deux systèmes ont l’avantage d’être assez facilement mis en place. Pour s’en convaincre, nous demandons aux participant·es de l’atelier de choisir une décision à prendre, de lister plusieurs options, et d’expérimenter trois systèmes de vote simultanément : majorité relative (en un tour), approbation et Borda.
Les trois systèmes peuvent trouver une option gagnante à partir des mêmes bulletins, si les bulletins sont remplis comme pour un vote Borda : pour le vote à majorité relative, considérez l’option en tête de classement comme la seule option inscrite ; pour le vote par approbation, considérez que les options classées sont approuvées et les autres rejetées.
TOUTEFOIS pour plus de réalisme, faites trois votes, un par système. En effet, les votes par approbation et Borda désamorcent toute nécessité de vote utile ou stratégique, alors qu’on s’attend à voir du vote utile en contexte de vote à majorité relative ou absolue. De plus, dans un vote Borda, le fait de classer une option ne signifie pas automatiquement qu’on l’approuve.

L’atelier peut être conclu par une recherche des situations dans lesquelles mettre en place ces systèmes de vote : à l’école, dans des associations, des collectifs, des institutions…
N’oublions pas que si notre objectif est bien de minimiser le nombre de mécontents et de minimiser leur mécontentement, la recherche de consensus est le meilleur système de prise décision ! Le vote ne devient une bonne alternative que si les conditions l’exigent : pas assez de temps, trop de monde à inclure dans la discussion…

À vous de jouer ?

 

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